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Parcours

Mes cinq premiers romans constituent un cycle où j’ai tenté de répondre, à partir de ma propre expérience, à cette question : « Comment devient-on ce que l’on désire être, ce qu’il est vital que l’on soit. Contre quoi, contre qui, avec qui ? »

Le premier, Graine de chanteur (Ed. Petrelle, 1999), brosse un portrait de ma grande famille toute entière rassemblée un jour de noce, famille de paysans, artisans et petits commerçants de l’ouest français, portrait d’une époque, les années 60, portrait d’un enfant enfin ayant répété, dans les semaines qui précédent le grand jour, une chanson pour la donner en public, premiers pas en artiste.

Victor, le petit héros des Muscles (Ed POL, 2001 et Folio 2003), mon deuxième livre, s’entraîne chaque jour à soulever dans la réserve attenante à la quincaillerie familiale les lourds outils en vente dans cette dernière, masse, marteaux etc. pour devenir un homme fort comme les aime son père. Roman d’éducation qui conduit en six chapitres (Bras, épaules, pectoraux – Cuisses – Cœur – Fessiers – Dorsaux – Abdos) jusqu’à la mort du père et l’émancipation inéluctable d’un enfant qui, peut-être, voulait trop lui ressembler.

Dans Matthieu disparait (Ed POL, 2003), c’est cette fois de rupture qu’il s’agit, rupture d’un jeune homme avec des parents qui l’ont empêché de s’inscrire à l’école de cinéma dont il rêvait, d’interruption des études pour aller travailler, ne plus jamais dépendre de quelqu’un pour les choses essentielles de la vie. Rupture qui conduira Matthieu tout en bas de l’échelle sociale dans une usine où il travaillera comme manœuvre avant d’amorcer, au fil des petits boulots et  stages de formation, une lente remontée. Cette remontée, également vers le désir profond de devenir un artiste, sera le sujet des deux romans suivants, via le théâtre d’abord, Bienvenue au paradis (POL, 2006) et la littérature enfin, Le commerce du père (POL 2009. Dans lequel j’intègrerai les premiers carnets de commerce de mon quincaillier de père, sa « littérature » dans la mienne, nous unissant, d’une certaine manière, au cœur de ce qui nous avait séparés, mon désir de devenir écrivain.

Avec Le Voyage à Blue Gap (POL 2011), mon sixième roman, débute un autre cycle dans lequel j’ai voulu m’éloigner du travail d’« autobiographie rapprochée » qui m’avait occupé jusqu’à présent, voyager justement vers « l’autre », les autres, tout en poursuivant mon entreprise autobiographique à travers eux, Tous ceux qui survenaient et n’étaient pas moi-même/Amenaient un à un les morceaux de moi-même, ainsi que l’écrit Guillaume Apollinaire dans Alcools. L’autre ici est un Indien Navajo, Scott, mari de Louise, la fille du narrateur. Ce dernier va leur rendre visite dans l’Ouest américain à l’heure même où, dans l’Ouest français, il vient d’apprendre que sa mère est atteinte de la maladie d’Alzheimer. Voyage d’un ouest rural vers un autre ouest rural, voyage dans la mémoire indienne, encore vive, et dans celle maternelle qui s’efface, voyage au cœur d’une famille navajo et de ses coutumes, voyage intérieur à la recherche d’une autre maison où s’abriter quand les fondations de la « maison-mère » commencent de doucement s’effondrer.

Ce voyage vers l’autre se poursuit dans mon récit suivant, Une place au milieu du monde (POL 2014), tiré d’une expérience d’atelier d’écriture menée avec des adolescents déscolarisés, en butte à d’importants problèmes psychologiques et familiaux, récit où le narrateur raconte comment il essaie de redonner une place à ces adolescents laissés sur le bord de la route et comment cet engagement lui redonne à lui aussi « une place au milieu du monde ».

Voyage encore dans Des bienfaits du jardinage (POL, 2016), récit, tiré d’une résidence d’écriture effectuée dans un hôpital psychiatrique, voyage vers des adultes, cette fois, dans la folie, qui me conduit à nouveau du côté de l’autobiographie puisque cette résidence a eu lieu au moment ou ma mère a atteint le stade final de sa maladie d’Alzheimer et sombré elle-même dans la démence. Voyage entre des vies lourdement déstabilisés, mais aussi dans la mienne, de fils, voyant sa mère s’éloigner, tentant de l’accompagner, accompagné lui-même, sans qu’ils le sachent, par ces hommes et femmes côtoyés durant ces quelques mois de résidence.

Voyage toujours dans Mon histoire avec Robert (POL, 2019), cette fois avec le cinéaste américain Robert Kramer rencontré en 1999 peu avant sa disparition. Voyage dans sa vie d’homme et d’artiste engagé, pour dire, via ses films, tournés le monde entier, le rêve de mes 14 ans devant les reportages diffusés à la télévision dans l’émission Cinq colonnes à la une, devenir l’un de ces hommes parcourant le monde pour en témoigner. Pour dire l’abandon de ce rêve, mais aussi sa résurgence des années plus tard, adapté au réel, via la littérature et à trois stations de métro de chez moi. Pour dire enfin que rien n’est jamais achevé, les hasards de la vie m’ayant fait à nouveau croiser il y a quelques années l’histoire de Robert dans un pays lointain.

Patrice Robin